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Trace (México, DF)

versión On-line ISSN 2007-2392versión impresa ISSN 0185-6286

Trace (Méx. DF)  no.77 Ciudad de México ene. 2020  Epub 13-Abr-2021

 

Reseñas

Mapa de México Tenochtitlan y sus contornos hacia 1550

Arnaud Exbalin* 

*Université Paris Nanterre/Mondes Américains-L’École des Hautes Études en Sciences Sociales, France, arnaud.exbalin@gmail.com.

León-Portilla, Miguel; Aguilera, Carmen. México: Ediciones Era, Secretaría de Cultura de la Ciudad de México, 2016. 176p.


Fallait-il une nouvelle preuve de la remarquable vitalité intellectuelle de Miguel León-Portilla ? Mapa de México Tenochtitlan y sus contornos hacia 1550 a été publié à l’occasion de ses 90 ans, c’est son dernier livre.

Ce texte est en réalité la version remaniée et enrichie d’une première édition publiée en 1986 dont la diffusion avait été cantonnée à quelques bibliothèques universitaires et aux cercles académiques. Miguel León-Portilla voulait porter à la connaissance d’un plus large public ce plan de Mexico réalisé au mitan du XVIe siècle ce qui dénotait de sa part un souci pour la vulgarisation de la recherche au plus noble sens du terme, car Mapa de México Tenochtitlan est d’abord un texte savant, un commentaire - assez classique par ailleurs dans sa facture - d’une source historique.

La nouvelle version est le fruit d’un travail collectif mené avec l’anthropologue Carmen Aguilera et une équipe d’ingénieurs cartographes, de biologistes et d’ethnohistoriens. Ce bel ouvrage, de grand format, publié chez Era Ediciones avec l’appui du Ministère de la Culture, a en effet de quoi séduire : édition soignée, reproduction d’autres cartes de la même époque et de nombreux glyphes représentés sur le plan, travail cartographique pour replacer le plan dans la topographie de l’ensemble de l’Anahuac et, surtout, un superbe facsimilé détachable, à échelle réelle, du plan soigneusement plié et logé dans la troisième de couverture.

Carte 1 Plan d’Uppsala ou plan de Santa Cruz aux allures de carte-paysage européenne. En bas, au centre, l’aigle impérial bicéphale, dans les marges latérales, les grecques, en bas à droite, une légende en latin. Au centre, en marron, la ville de Mexico, baignée de lacs en vert et entourée de montagnes, semble irriguer tel un cœur son environnement1.

Depuis les travaux pionniers du Suédois Sigvald Linné2 et de l’Américain Donald Robertson3, aucune étude sérieuse n’avait été consacrée à ce document exceptionnel, et ce à plusieurs titres. D’une part, le plan d’Uppsala aussi connu comme le plan de Santa Cruz est le plus ancien plan conservé de la Cuenca de Mexico (ca. 1550) puisqu’il a été confectionné seulement une génération après la prise de la ville par Cortés et ses alliés : il donne donc à voir la ville Mexico et ses environs lacustres et montagneux dans les premiers temps de la colonisation alors que la ville est tout juste devenue la capitale du royaume de la Nouvelle-Espagne. Rappelons que Mexico ne devint le siège du tribunal royal de la Real Audiencia qu’en 1532 et la résidence du vice-roi qu’en 1535.

D’autre part, au premier coup d’œil ce document pourrait être confondu avec une carte-paysage de la Renaissance européenne avec ses scènes champêtres, ses larges bordures ornées de grecques, le blason impérial de l’aigle bicéphale et sa légende en latin dédicacée à Charles Quint. Or, à y regarder de plus près, le support matériel (deux peaux de cerf cousues entre elles), le trait des personnages, toujours peints de profil, et surtout les plus de deux cents glyphes toponymiques qui parsèment le document en font un magnifique exemple de « plan métisse » où influences européennes et indigènes se mêlent avec une étonnante précocité.

Enfin, le destin du document est lui-même exceptionnel et explique les différents noms qu’on a pu lui attribuer : « Plan de Santa Cruz » du nom du cosmographe du roi, Alonso de Santa Cruz (1505-1567) commanditaire du document, passionné d’astrologie et de cartographie - il n’est jamais sorti de la Péninsule ibérique - qui l’offrit à Charles Quint et qui en fit une reproduction très simplifiée dans son Islario general de todas las islas del mundo ; « Plan d’Uppsala » ensuite du nom de l’Université suédoise où par un singulier destin, la carte a fini par arriver dans sa bibliothèque avant d’être redécouverte plus de trois siècles plus tard, à la fin du XIXe siècle. Ce plan aurait aussi pu s’appeler le « plan de Tlatelolco » car c’est très probablement entre les murs du fameux collège franciscain de Santa Cruz de Tlatelolco que s’élabora ce document par des informateurs autochtones - les auteurs des commentaires font très justement remarquer les distorsions d’échelle, le couvent étant peint beaucoup plus grand que les autres édifices -, des peintres indigènes formés à la cartographie européenne et des frères franciscains très versés dans les savoirs mexicas, à l’image de l’œuvre monumentale que fut le Códice florentino. C’est justement en fin connaisseur de l’œuvre de Sahagun que Miguel León Portilla s’est très certainement intéressé à ce document.

L’un des principaux intérêts de l’ouvrage est la description minutieuse des activités qui y sont peintes, des témoignages uniques sur la vie quotidienne à Mexico au milieu du XVIe siècle. Activités aquatiques tout d’abord avec des scènes de pêche, où les techniques européennes (pêche à l’hameçon) se mêlent aux techniques locales (au filet ou à la lance) ; activités agricoles ensuite avec la collecte du sel, l’exploitation des agaves avec extraction de l’aguamiel, la pâture des animaux domestiques ; activités de transport à dos d’homme dans la tradition mésoaméricaine ou à dos de mule à l’européenne.

D’une manière générale, ces témoignages attestent de la rapidité de l’introduction des techniques européennes au Nouveau Monde. Les représentations de troupeaux de moutons, de cochons et de mules montrent que ces animaux, menés par des pâtres indigènes, furent très tôt adoptés par les populations locales. L’examen de la partie urbanisée met également en lumière la rapidité des transformations urbanistiques à l’œuvre dès le lendemain de la conquête. Au milieu du XVIe siècle, la traza de la ville espagnole est déjà en place même si les édifices semblent flotter dans un damier encore trop large : au centre la Plaza Mayor à laquelle est accolée la cathédrale (pourtant inachevée), les églises et les couvents déjà sur pied, il ne reste guère de vestiges de Tenochtitlan. Bien évidemment, il ne faudrait pas lire ce document comme une photographie de ce qu’était effectivement Mexico à cette époque.La carte n’est pas exempte d’idéalisation sur ce que doit être la ville rêvée de la Renaissance : le document renvoie en effet l’image d’une ville christianisée (les croix abondent dans la partie centrale), hispanisée (il n’y a pas de glyphes au sein de la traza, tous les toponymes sont en castillan) qui s’opposerait à une périphérie représentée comme indigène avec ses glyphes topographiques.

Ce document unique commenté par Miguel León Portilla, Carmen Aguilera et leur équipe est en définitive un outil indispensable pour les historiens, les urbanistes et les anthropologues qui s’intéressent à l’histoire environnementale et à l’histoire urbaine, aux transferts techniques ou encore à l’histoire de l’alimentation et des métissages. Les lacs ont aujourd’hui presque totalement disparus (sauf à Xochimilco), l’urbanisation a couvert le pourtour de la cuvette jusqu’aux pentes des volcans et les canaux, endigués puis comblés, ont été effacés. Seuls dans ce paysage exubérant quelques magueys et arbres comme les ahuehuetes ont résisté.

Pour conclure et pour ouvrir vers d’autres horizons, Mapa de México Tenochtitlan y sus contornos hacia 1550 pourrait être rapproché, avec toutes les nuances qu’implique une telle comparaison, d’une autre entreprise éditoriale. Avec Mr. Selden’s Map of China: Decoding the Secrets of a Vanished Cartographer, publié en 2013, le sinologue canadien Timothy Brook tentait de résoudre l’énigme d’une carte marine chinoise (un routier) du milieu du XVIIe siècle qui avait mystérieusement abouti dans les fonds anciens de la Boldeian Library d’Oxford. Comme la carte de Santa Cruz, celle de Selden est une carte métisse qui mixait la tradition cartographique chinoise avec des éléments européens. Elle était à l’image de Mexico au milieu du XVIe siècle, le nouveau témoignage d’une première mondialisation.

Carte 2 La carte de Selden est un autre exemple de carte hybride qui mêle tradition cartographique chinoise et éléments européens dont une échelle graduée et une rose des vents (en haut au centre)4.

1 Une reproduction de la carte en haute définition est disponible sur le site de la Biblioteca Digital Mundial : https://www.wdl.org/es/item/503/.

2El Valle y la ciudad de México en 1550; relación histórica fundada sobre un mapa geográf ico, que se conserva en la Biblioteca de la Universidad de Ippsala, Suecia, 1948, Estocolmo, Esselte.

3Mexican manuscript painting of the early colonial period. The metropolitan schools, 1959, New Haven, Yale University Press.

4Cette carte est conservée à la Boldeian Library d’Oxford. Pour une version en haute définition, voir https://seldenmap.bodleian.ox.ac.uk/.

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