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Relaciones. Estudios de historia y sociedad

versión On-line ISSN 2448-7554versión impresa ISSN 0185-3929

Relac. Estud. hist. soc. vol.35 no.140 Zamora sep./nov. 2014

 

Reseñas

 

Arndt Brendecke, Imperio e información. Funciones del saber en el dominio colonial español

 

Guillaume Gaudin*

 

Traducción de Griselda Mársico, Madrid, Fráncfort, Iberoamericana, Vervuet Verlag, 2012, 596 p.

 

* Université de Tolouse-Le Mirail. Correo electrónico: guillaume.gaudin@univ-tlse2.fr

 

L'ouvrage d'Arndt Brendecke est une synthése foisonnante sur les sages politiques et administratifs du savoir par la monarchie espagnole dans le cadre de la colonisation de l'Amérique au XVIe siécle. L'étude recense et analyse de maniére érudite les différents projets, formes et utilisations du savoir promus ou encadrés par le pouvoir politique depuis la cour. L'auteur défend l'idée que l'expansion européenne constitue la genése d'une culture des savoirs empiriques modernes: jusqu'á quel point la domination de l'Espagne sur l'Amérique se fonde effectivement sur le savoir? La question des savoirs impériaux pris autant comme phénoméne culturel que sociopolitique est particuliérement féconde depuis une vingtaine d'années. La richesse et l'actualité de la recherche historique sont perceptibles dans l'ample bibliographie citée par A. Brendecke. On peut toujours regretter des lacunes comme les travaux de J.-P. Berthe et A. Musset sur Juan López de Velasco et les relations géographiques, on s'étonne de ne pas voir les recherches d'histoire culturelle de S. Gruzinski davantage discutées ou exploitées tant elles semblent au coeur du sujet et de l'actualité historiographique avec l'émergence de l'histoire connectée. Il n'en reste pas moins que l'apport de Imperio e información est indéniable. En empruntant á la linguistique le concept de «communicative setting), le livre recherche un «setting colonial», autrement dit le cadre et la mécanique politique qui définissent et animent le systéme impérial espagnol.1 Au fil de la lecture, ce setting colonial semble s'articuler autour d'une série de concepts antinomiques: théorie et pratique forment la premiére opposition récurrente, l'auteur souhaitant avant tout mettre en lumiére la praxis, les méthodes empiriques de l'empire. Le deuxiéme est objectivité-subjectivité, l'ouvrage s'attache á déceler dans quelle mesure l'objectivité entre en compte dans la validation des informations. Centre et périphérie constituent une troisiéme opposition entre la cour, déclencheur de grands projets recueillant toutes les informations, et la périphérie lointaine qui produit l'information en espérant recevoir en retour reconnaissance et récompenses du roi, le tout formant un systéme du bas vers le haut-bottom-up suivant les mots de l'auteur. Une derniére opposition repose sur le débat entre des informations fournies par des experts spécialement dépéchés en Amérique pour une «mission scientifique» ou la sollicitation d'hommes en place qui doivent répondre en plus de leurs taches quotidiennes.

Le livre comprend neuf chapitres que l'on peut diviser en deux grandes parties. L'une sur le roi et la Cour analyse le statut et la place du savoir dans la théorie politique du XVIe siécle. L'autre partie plus longue étudie les usages du savoir dans les grandes institutions royales : le Conseil des Indes et la Casa de la Contratación de Séville.

Dans un premier temps, l'auteur s'intéresse au discours sur le savoir et la place qui lui est donnée dans la théorie politique des auteurs espagnols du XVIe siécle: une fois de plus deux images contraires s'affrontent: l'omniscience et la ceguera du roi. Philippe II se présente comme un roi immobile et paperassier qui impose une gestion centralisée du pouvoir. A. Brendecke rappelle le role de la justice distributive dans le processus d'idéalisation du monarque: le roi est omniscient car il a une connaissance exacte des mérites de ces sujets qu'il peut ainsi récompenser. Les «relaciones de méritos y servicios» montrent comment les sujets sont préts à livrer volontairement des informations sur euxmémes suivant un flux de communication de bas en haut. Paradoxalement, une autre image du roi est celle de l'aveugle : dés le régne d'Alphonse X, les monarques ont conscience de l'impossibilité pour un seul homme de tout savoir ou de se rendre dans tous les territoires du royaume pour y gouverner directement. La nécessité apparait de conseillers et d'institutions filtres; le role des secrétaires, particuliérement valorisé, est de transmettre «noticiaperfecta de los hechos» au roi d'aprés le traité (El Secretario del Rey, 1620) de Bermúdez de Pedraza. Surgit l'idée d'un livre unique oü tout serait consigné sur le modéle romain de la Notitia dignitatum repris en 1645 par le commis du secrétariat de la Nouvelle Espagne du Conseil des Indes, Juan Díez de la Calle auteur des Noticias sacras y reales de las Indias Occidentales. A. Brendecke présente ensuite la trajectoire historique qui a conduit la monarchie espagnole à la «información en el sentido de las representaciones modernas de la racionalidad política, como una recopilación de datos empiricos». (p. 107): il évoque les grands projets de collection de tous les savoirs du monde stimulés par l'expansion atlantique au XVIe s. qui a suscité la curiosité et amené à «el registro sistematizado de la geografia, la población y el potencial económico de esos territorios». Pourtant A. Brendecke relativise la portée des projets de cour qui ne sont pas systématiques, peu pratiques et souvent inachevés.

La deuxiéme partie du livre des chapitres 4 à 9 entre davantage dans les pratiques concrétes de recueil, d'élaboration et d'usages des savoirs. Le premier volet de cette enquéte porte sur les savoirs nautiques à la Casa de la Contratación de Séville, un sujet bien connu qu'A. Brendecke présente sous un jour nouveau en s'arrétant sur les débats autour de padrón real entre cosmographes et pilotes. Cet excellent chapitre met en lumiére la dimension politique et sociale du savoir: les conflits entre pratique et science dépassent les seuls enjeux scientifiques et illustrent les tensions entre savants et marins, entre la cour et Séville. Ensuite, aprés avoir rappelé la nature et les missions du Conseil des Indes, A. Brendecke propose d'étudier le fonctionnement de ce qu'il appelle le «setting colonial» ou le cadre dans lequel le savoir se déploie: que sou-haite-t-on savoir à la cour, pourquoi les autorités locales informentelles la cour, suivant quels circuits ? Un lien étroit existerait entre savoir et domination coloniale suivant le schéma d'un «triangulo vigilante»: à la base du triangle des informateurs locaux observent et se surveillent, les arrétes du triangle représentent la communication des informations dirigées vers le sommet le roi et la cour. Ceci explique que l'accés au roi soit fermement garanti par la Couronne : les intermédiaires ou «gatekeepers» qui rompent la transmission libre des informations sont condamnés comme la premiére audience de la Nouvelle Espagne lorsqu'elle intercepte le courrier de l'évéque Zumárraga (cédule du 31 juillet 1529). Aussi la liberté d'écrire et de dénoncer et le role d'informateurs sont-ils toujours valorisés et récompensés par le roi. Ce schéma fonctionne sans aucun doute, mais on peut lui apporter certaines nuances: d'une part, la circulation des informations, dans un contexte impérial, ne s'effectue pas que de maniére verticale, d'autre part, cette circulation ne fonctionne pas uniquement en vase clos. En effet, les contacts et les transferts ont lieu d'un espace à l'autre comme l'histoire connectée tend à le démontrer.

Ce setting colonial défini, A. Brendecke en dresse une histoire depuis la curiosité des Rois Catholiques qui adresse une liste de questions à Christophe Colomb à la premiére histoire officielle de la Conquéte du chroniqueur Antonio de Herrera publiée au début du XVIIe siécle. Ce qui retient davantage l'attention de l'auteur, c'est bien entendu les réformes portées par Juan de Ovando dans les années 1570 et sa doctrine d'une «entera noticia» capable d'améliorer le gouvernement des Indes occidentales. Aprés avoir mis en lumiére les liens personnels unissant une série de personnages clés entourant Philippe II dans les années 1560-1570, «una camarilla de letrados» (p. 321) issue de l'université de Salamanque composée en premier lieu du cardinal Diego Espinosa, l'ouvrage présente les conclusions de la visita du Conseil des Indes par Juan de Ovando : rédaction d'un code du droit des Indes et d'un «libro de descripciones», création un poste de chroniqueur-cosmographe. La visita fait appel à beaucoup de témoins y compris en Amérique «invitados a realizar una evaluación estructural del dominio colonial» (p. 330). Différents questionnaires sont envoyés et adaptés suivant les personnalités comme à l'archevéque de Mexico qui doit s'adresser aux évéques de Nouvelle Espagne. Les «listas de preguntas» se multiplient, se formalisent sans chercher à répondre á l'aspect judiciaire de la visita, pour donner les fameuses relations géographiques. Cette vaste entreprise de collection de l'information - «pretensión grotesca imposible de cumplir» (p. 380) car trop compliquée à mettre en ouvre dansles faits - n'a qu'un faible impact sur la maniére d'administrer l'Amérique : la Geograíia y descripción universal de las Indias (1574) de López de Velasco et l'histoire officielle d'Herrera ne sont pas destinées á administrer car le role du chroniqueur est d'abord de glorifier le roi, la monarchie et les «hechos memorables des conquistadores». Ces considérations sont sans doute à nuancer, car l'étude du fonctionnement des secrétariats du Conseil des Indes montre l'usage qui est fait — méme si incomplet ou sporadique — de tels instruments de savoirs. Mais pour A. Brendecke, s'approcher de l'usage de l'information, de la praxis, est une gageure : «no es posible aislar el resorte de una decisión particular pero si se puede reconstruir el esquema del setting epistémico» (p. 442) Autrement dit, il est possible de comprendre l'ensemble du systéme administratif espagnol, mais le role de l'information dans le processus de décision serait insaisissable. Une fois de plus, on peut nuancer car, pour le XVIe siécle, rares sont les administrations européennes à livrer autant d'informations sur leur démarche que la monarchie espagnole avec la procédure de l'expediente qui conserve toutes les piéces d'un dossier.

«Zas pequeñas herramientas del saber » du Conseil des Indes sont alors recensées : retour sur l'archivage à Simancas, le probléme des documents retrouvés au domicile des conseillers, les cartes, le role clé des secrétaires. La consulta et le travail de synthése opérés par les secrétaires et les commis apportent un éclairage particulier sur le « manejo de papeles» : la rédaction des brevetes (trois lignes inscrites au dos des lettres ou des consultas résumant le contenu) est minutieusement décrite. La consulta organise le dialogue entre le roi et les conseillers et forme une «microgestión de las informaciones» (p. 467). L'ordre dans lequel sont présentées les lettres ou les informations change la perception et peut orienter la décision du roi. Le travail du personnel du Conseil des Indes dépend plus des relations sociales que des lectures : des audiences sont accordées et la présence d'innombrables prétendants ou fonctionnaires préts à partir pour les Indes crée un véritable espace de communication oü l'oral joue un role prépondérant mais difficilement saisissable par l'historien. Tout cela est encore un «bricolage de informaciones» (p. 468). La conclusion du dernier chapitre laisse ouvert le champ de la recherche sur l'information et ses usages dans l'empire espagnol: «portadores y transmisores burocráticos de un conocimiento del objeto específico, habrá que buscarlos sobre todo entre los miembros subalternos del Consejo» (p. 478).

Finalement, Imperio e información, à partir d'une documentation fournie et d'un souci d'exhaustivité propose de concilier des interprétations parfois opposées entre construction de l'État moderne sur le modéle wébérien et omniprésence du clientélisme et de la concertation dans l'élaboration des décisions pendant l'Ancien Régime. De méme, l'ouvrage, tout en nuanfant à plusieurs reprises un schéma impérial centre-périphérie, donne principalement à voir le role d'impulsion et de concentration des savoirs à la Cour et au Conseil des Indes. Cette circulation verticale des savoirs impériaux est parfaitement saisie, mais elle ne rend sans doute pas compte dans son intégralité du fonctionnement de l'empire espagnol: les circulations horizontales, les chaínes d'interconnaissances et les échanges avec d'autres espaces doivent désormais étre pris en compte dans l'interprétation de ce vaste et complexe systéme politique.

 

Notas

1 L'ouvrage recensé est une traduction de Imperium und Empirie. Funktionen des Wissens in der Spanischen Kolonialherrschaft paru à Cologne en 2009. L'auteur ayant recours à des concepts de la linguistique anglo-saxonne, la traduction peut parfois paraitre embrouillée.

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